Claude Tissendier dans Jazz Classique de septembre 2009
Interview par Alain Tomas
La musique faisait-elle partie de la tradition familiale ?
Ma famille est originaire du sud-ouest, autour de Toulouse plus exactement. Mon grand-père maternel, Marcel Melet, était un bon trompettiste, premier prix du Conservatoire de Toulouse. Il jouait dans des revues, participait à des tournées de variétés et faisait des saisons entières dans des casinos l’été. Son nom de scène était Harry Jackson. Il devait apprécier le jazz car il était surnommé dans la région l’ «
Armstrong blanc » bien que son trompettiste préféré fût
Harry James. Je l’ai un peu connu quand il venait voir ses filles à Toulouse. En fait, il a rapidement quitté femme et enfants pour partir avec une danseuse rencontrée dans une revue. Il s’est installé à Paris et a pris sa retraite dans les années soixante, du côté de Chantilly. Ma mère l’admirait. Elle adorait les comédies musicales, le cinéma d’Hollywood et aurait voulu être danseuse. Ce rêve ne s’est pas réalisé car elle a dû travailler assez tôt suite au départ de son père. Mais grâce à elle, la musique était présente à la maison. Mes parents étaient abonnés à la «
Guilde du Disque » et j’ai pu écouter de la musique classique, du jazz et de la variété. Ma mère appréciait les orchestres de variétés américains qui comportaient des sections de cordes comme celui de
Ray Conniff : elle appelait ça le « jazz symphonique ».
Mon père, lui, dirigeait une entreprise qui fabriquait des housses de voitures et n’était pas très musicien dans l’âme. Il avait pris des leçons de violon comme cela se faisait dans son milieu en ce temps-là, mais il n’a pas poursuivi dans cette voie par manque d’intérêt.
Comment la musique est entrée dans ta vie ?
Par l’intermédiaire de mon frère, mon aîné de deux ans. Il s’était mis à la guitare et chantait du Brassens en s’accompagnant sur cet instrument. C’était l’époque des Shadows et des Spoutniks. Autrement, j’écoutais la variété des années soixante, Claude François et les autres, comme tous mes copains du moment. En regardant Discorama, l’émission de télévision qu’animait Denise Glaser, j’ai découvert les
Haricots Rouges qui m’ont emballé. N’ayant aucune expérience musicale, je me suis procuré un
washboard tout simplement parce que c’était l’instrument qui me semblait le plus accessible au départ. Entre temps mon parrain nous a prêté des disques de
Django Reinhardt dont il était fan. J’ai bien sûr apprécié
Django mais aussi
Hubert Rostaing, son clarinettiste. L’été suivant, en vacances à Mimizan, je suis allé voir les
Haricots Rouges qui se produisaient au Casino. Et là, j’ai été fasciné en entendant le clarinettiste
Gérard Tarquin.
Ce fut une révélation. En sortant du casino ma décision était prise : je serai musicien professionnel.
Quel âge avais-tu ?
J’avais quatorze ans et j’ai décidé sur le champ d’acheter une
clarinette. René Gélis, qui avait fait partie de l’orchestre de mon grand-père au cinéma Le Gaumont à Toulouse, m’a donné des cours pendant deux ans. Avec lui, j’ai appris les rudiments de l’instrument et un peu de solfège.
Comme je voulais en faire mon métier, j’ai décidé d’étudier l’instrument sérieusement. Je suis entré au
Conservatoire de Toulouse où je suis resté six ans. J’étais en seconde et j’ai poursuivi parallèlement mes études jusqu’au bac que j’ai obtenu avec mention (ouf !). J’ai fait quatre ans de
clarinette avec Armand Médous et deux ans de
saxophone avec Jacques Cottenet.
As-tu abordé le jazz au Conservatoire ?
Non, car dans les années soixante, il n’était pas question de jazz au Conservatoire. Nous n’étudions que le répertoire classique : Weber, Mozart et Hindemith. En classe de
saxophone, j’ai eu l’occasion de faire partie d’un
quatuor de saxophones. J’en appréciais la richesse et la plénitude du son, je m’en suis souvenu plus tard quand j’ai lancé
Saxomania. En fait, dès que j’ai su me débrouiller à la
clarinette, je me suis mis au jazz.
J’étais déjà au Conservatoire quand j’ai rencontré le clarinettiste
Jacques Gauthé qui dirigeait l’
Old Time Jazz Band. Il avait aussi un second métier : charcutier ! Nous jouions le répertoire du
King Oliver Creole Jazz Band et des
Hot Five de Louis Armstrong. L’orchestre était constitué de bons amateurs. Il y avait Daniel Gay (tp), Gilbert « Philo » Bacqué (tb), Roland Cot (ts), Jean-Paul Brassier (p), Christian Declume (tuba),
Enzo Mucci (banjo) et Daniel Dargent (dms).
Jacques Gauthé est ensuite parti à La
Nouvelle-Orléans comme chef cuisinier dans un restaurant avant de devenir musicien professionnel à plein temps. Nous jouions dans des cafés, pour des bals d’école et dans des boîtes qui faisaient des soirées jazz. Nous avons fait des concerts dans toute la région Midi-Pyrénées avec
Bill Coleman qui habitait la région et parfois aussi avec
Benny Waters en invité. Nous avons même enregistré un 45 tours.
Puis je me suis orienté vers un répertoire plus
swing quand j’ai rencontré
Jean Osmont (tb) qui habitait alors Cazères, non loin de Toulouse. Je me suis mis alors au
saxophone alto.
J’ai participé aux
jam sessions organisées dans une ambiance très conviviale par Camille Janel, un bon pianiste amateur qui vivait dans le Gers et qui invitait ses voisins :
Guy Lafitte,
Bill Coleman et
Charles Barrié (ts) qui vivaient dans le Gers, y participaient.
J’ai aussi fait partie du
Docteur Jazz Group dirigé par
James Luneau qui jouait du ténor dans le style de
Coleman Hawkins. Il y avait avec nous Francis Higounec, un très bon trombone.
J’ai ensuite formé, en 1975, le
Night Letters qui se produisait, une fois par semaine, au restaurant Le Petit Bedon à Toulouse. J’y ai joué jusqu’à mon départ pour Paris en 1977. Cette formation comprenait Jacques Ronga (p), Jean-Claude Biraben (b), Pierre Voyard (dms) et la chanteuse Danièle Montfort. On accompagnait parfois
Guy Lafitte,
Jean Claude Naude...
Entre temps, j’ai aussi rencontré le guitariste
Chalin Ferret qui avait joué avec
Django Reinhardt. On a monté le groupe
Minor swing. J’y jouais de la
clarinette avec
Enzo Mucci (g), Serge Guirao (b) et André Sassoure (dms). Nous interprétions le répertoire de
Django Reinhardt et des standards.
T’intéressais-tu déjà aux grands orchestres ?
Ma première expérience en
big band s’est déroulée alors que j’étais au conservatoire. Un mélange d’élèves, de professeurs, de musiciens de variété et de solistes de jazz s’était regroupé autour de Marc Decima, un trompettiste de Cahors, qui possédait des arrangements et qui venait nous faire répéter à Toulouse. Le répertoire allait de
Benny Carter,
Sy Oliver… jusqu’à
Oliver Nelson et
Yvan Jullien. C’était passionnant. Le son d’un
big band, c’est unique : la richesse, la puissance, la précision…
Quels sont les musiciens qui t’ont influencé?
Au début, seule la
clarinette comptait. Je n’aimais pas trop le
saxophone. J’ai été influencé par tous les
clarinettistes de la Nouvelle Orléans :
Johnny Dodds,
Barney Bigard,
Edmond Hall,
Albert Nicholas,
Jimmie Noone et
Sidney Bechet dont je suis un fanatique. Je connaissais moins
Buster Bailey que je n’ai découvert que plus tard quand j’ai monté mon projet sur
John Kirby. Quant à
Benny Goodman,
Artie Shaw ou
Jimmy Hamilton, ils représentaient le
style swing qui m’intéressait moins à l’époque.
En ce qui concerne le
saxophone, c’est en écoutant
Barney Bigard chez
Duke Ellington que j’ai découvert
Johnny Hodges qui m’a plu tout de suite, peut-être parce qu’il est l’héritier de
Sidney Bechet...
Je me suis ensuite intéressé aux autres altistes de l’
époque swing:
Benny Carter et
Willie Smith, et quelque temps après est arrivé
Charlie Parker.
Pourquoi Sidney Bechet ?
À cause de la qualité moderne de son phrasé et du lyrisme qui se dégage de son jeu. Né en 1897, il est le premier grand soliste de jazz, peut être même avant
Louis Armstrong.
Pourquoi es-tu monté à Paris ?
Il n’y avait pas beaucoup de débouchés à Toulouse. Je commençais à écrire des
arrangements pour des musiciens locaux qui n’avaient pas le niveau technique requis, ou n’avaient pas suffisamment de temps à consacrer aux répétitions, ou tout simplement pas assez d’ambitions. Bref, il n’y avait pas grand monde pour jouer ce que je voulais. En 1977, je suis donc monté à Paris pour poursuivre ma carrière.
Claude Guilhot,
vibraphoniste et toulousain expatrié dans la Capitale, m’a hébergé pendant trois mois.
Je connaissais
André Villéger que j’avais rencontré à Toulouse quand il jouait du
saxophone soprano avec les
Lutéciens. Je me rappelle que nous avions fait le bœuf, un soir après un de leurs concerts. C’est lui qui m’a fait entrer dans l’orchestre de
Claude Bolling comme saxophoniste alto,
Gérard Badini étant parti aux Etats-Unis, une place était donc libre. J’y suis toujours, trente et un ans après. Presque au même moment, je suis devenu
professeur au CIM d’
Alain Guerrini. J’y ai enseigné la technique du
saxophone et le travail en section pendant quatre ans. Mais j’ai dû arrêter car il y avait beaucoup de travail avec
Bolling.
Que t’a apporté ton séjour chez Bolling?
Quand j’ai intégré l’orchestre en 1978 il y avait des musiciens comme
Fernand Vestraete et
Maurice Thomas (tp),
Pierre Gossez et
Jean Aldegon (sax),
Benny Vasseur et
André Paquinet (tb)… Tous étaient des références, de grands professionnels et j’ai beaucoup appris à leur contact.
Avec
Bolling, j’ai voyagé dans le monde entier. J’ai fait du studio pour ses musiques de films et ses disques du
big band. En le regardant faire, j’ai appris à organiser la musique, la présenter, mettre en valeur un soliste… Bref, tout le métier de haut niveau.
Fréquentais-tu d’autres formations ?
Pendant mes quatre premières années à Paris, je me suis produit au sein de différents ensembles. Je ne voulais surtout pas diriger un groupe. J’ai accumulé les expériences en me produisant, par exemple, dans des
big bands comme ceux de
Claude Cagnasso,
Jean-Loup Longnon,
Gérard Badini,
Danny Doriz,
Ornicar et le
Swing Limited Corporation, et dans les petites formations d’
Irakli, de
Dany Doriz et de
François Biensan.
En fait, l’
Irakli Swing Orchestra est la première petite formation dans laquelle j’ai joué en arrivant à Paris. Cela a duré cinq ans, il y avait
François Biensan à la batterie,
Sandrik de Davrichewy, le frère d’Irakli à la guitare,
Riccardo Galleazi à la contrebasse,
Nicolas Montier et moi-même aux saxophones. Nous jouions des titres du répertoire des années trente de
Louis Armstrong. J’avais, à cette occasion, écrit des arrangements pour deux saxophones de façon à obtenir un son de section (déjà !). Nous n’avons jamais enregistré avec cette formation.
J’ai aussi travaillé, en 1983, avec l’
Ellingtomania de
François Biensan. J’ai fréquenté des clubs parisiens comme le
Caveau de la Huchette,
le Petit Journal, la London Tavern (avec Charlie Léandre, tb), le
Slow Club et le
Petit Opportun.
Ce dernier club était très convivial. J’y faisais souvent le boeuf avec
Arnaud Mattéi (p),
Jean-Yves Lacombe (b). Notre répertoire allait du
swing au bop. Bref, je menais la vie d’un musicien professionnel de l’époque. En 1985, j’ai aussi participé à un quintette avec
François Biensan (tp),
Pierre-Yves Sorin (b),
François Laudet (dms) et
Alain Jean-Marie (p) et dans lequel je jouais du baryton.
Pourquoi le baryton ? En jouais-tu chez Bolling ?
Quand
Pierre Gossez, le titulaire du poste baryton-clarinette chez
Bolling est parti, je l’ai remplacé. Cela a duré de 1985 à 1988. C’est une place très intéressante dans un
big band et, en particulier, pour la musique de
Duke Ellington que nous jouions souvent chez Claude.
Venons-en à ton premier album intitulé « Tribute To John Kirby ».
En 1982, avec le
clarinettiste Jean Etève et le trompettiste
Michel Delakian, tous deux musiciens de l’orchestre de
Claude Bolling, nous avons décidé d’aborder le répertoire de
John Kirby (1938) considéré alors comme particulièrement difficile. J’ai donc effectué une
centaine de relevés à partir des enregistrements originaux. Cela demande beaucoup de patience mais avec l’habitude cela va assez vite. Les voix des trois cuivres sont faciles à isoler grâce aux timbres différents ; en revanche, la partie de contrebasse est difficilement audible principalement à cause de la technique d’enregistrement de l’époque.
Nous avons répété un an, d’abord avec les trois cuivres, puis avec la section rythmique :
Bernard Rabaud (p),
Pierre-Yves Sorin (b) et
François Laudet (d). J’avais rallongé les morceaux qui ne duraient chez
Kirby que trois minutes (78 tours oblige !) afin de laisser plus de place pour les solos.
En 1985,
Philippe Vincent nous a entendus lors d’un de nos concerts et nous a proposé de faire un disque pour son label IDA Records. L’album intitulé «
Tribute To John Kirby » a été bien accueilli par la critique puisqu’il a obtenu en 1986, le
Prix du disque de Jazz français du Hot Club de France et, en 1987, le
Prix Sidney Bechet de l’Académie du Jazz.
Nous avons eu beaucoup de succès auprès du public et nous nous sommes produits dans de nombreux endroits jusqu’en 1987, date de la dissolution de l’orchestre. Le disque vinyle a d’ailleurs été réédité en CD (2000) avec des titres supplémentaires.
Pourquoi cette expérience a-t-elle pris fin?
Cette musique difficile exigeait beaucoup de répétitions et il fallait y consacrer beaucoup de temps. Au bout de quelques années une certaine usure s’installe et l’énergie, la volonté n’y sont plus.
Quand as-tu fondé Saxomania ?
Tout de suite après. L’idée de base vient des
arrangements pour
quatre saxophones conçus par
Benny Carter pour la fameuse séance du 28 avril 1937 qui rassemblait à Paris,
Coleman Hawkins,
Benny Carter,
Alix Combelle et
André Ekyan avec
Django. En fait, j’y pensais depuis longtemps. Quand j’étais au Conservatoire de Toulouse, j’avais commandé des partitions d’orchestre à la
Berklee School de Boston. Je les avais décortiquées pour comprendre comment une
section de saxophones fonctionnait. Un peu après mon arrivée à Paris, j’ai pris des cours d’harmonie et d’orchestration au
CIM avec
Derry Hall, un américain qui vit en France et qui enseignait lui aussi d’après la méthode Berklee. Grâce à cette technique, j’ai commencé à arranger des standards en essayant d’imiter le phrasé des sections de saxophones de
Benny Carter,
Duke Ellington et
Count Basie. Il me fallait un orchestre pour tester ces
arrangements, j’ai choisi
Jean Etève (as, cl),
Nicolas Montier (ts),
Claude Braud (ts),
Stan Laferrière (p),
Pierre Maingourd (b) et
François Laudet (dms) et nous avons pu commencer à répéter.
La formule a plu et ça a tout de suite bien marché.
Saxomania a enregistré avec plusieurs invités. Comment as-tu procédé pour jouer avec un musicien que tu connaissais de réputation sans l’avoir toujours rencontré ?
La démarche générale est toujours la même : je commence par écouter et analyser la production de l’artiste invité afin de m’imprégner de son œuvre. Le premier a été
Benny Carter qui se produisait en 1988 au
Magnetic Terrace. J’avais arrangé à son intention
Doozy, l’une de ses compositions, et
Out Of Nowhere en souvenir de la séance historique de 1937. Benny, qui était un homme adorable, nous a écoutés et a accepté d’enregistrer avec nous. Nous avons convenu de son cachet (élevé mais ô combien justifié !) et dix jours après nous enregistrions. L’album s’est très bien vendu et a obtenu le
prix du meilleur disque de jazz français du Hot Club de France (1988) et le
prix Bill Coleman de l’Académie du Jazz (1989).
Le deuxième invité fut
Spike Robinson qui jouait dans la lignée de
Stan Getz -
Zoot Sims et que j’avais rencontré au
Petit Opportun. Pour cette séance, je voulais donc un son
West Coast, cela a nécessité un gros travail d’écriture. Je me suis inspiré des arrangements de
Gerry Mulligan,
Lennie Niehaus et
Al Cohn.
Ensuite,
Jean-Paul Bailay, le programmateur du festival de Samois sur Seine, voulait présenter
Saxomania avec
Phil Woods en invité. Tout d’abord pétrifié d’avoir à jouer aux côtés d’un tel musicien, j’ai organisé un programme avec des compositions de Phil et quelques
standards bop. Le concert s’étant merveilleusement déroulé, rendez-vous fut pris pour l’enregistrement (1991).
Puis est venu
Guy Lafitte que je connaissais bien de mon époque toulousaine et avec qui je voulais faire un disque depuis longtemps. Ma première idée était d’utiliser un répertoire reprenant les succès de
Coleman Hawkins mais il était réticent. J’ai donc écrit des arrangements sur des standards en incluant quelques tournures chères à
Hawkins, et cette fois ça lui a plu. L’enregistrement a décroché en 1996 le
Django d’or.
Et enfin, le dernier avec
Clark Terry. Je suis allé le rencontrer lors de son passage au
festival de Vienne où il se produisait avec la formation de
George Wein. Avec les recommandations de
Benny Carter et
Phil Woods, je n’ai eu aucun mal à le convaincre d’enregistrer avec nous. Comme pour chaque invité, j’ai écrit des arrangements sur quelques-unes de ses compositions et sur des titres qui me semblaient lui correspondre comme
Chelsea Bridge de
Billy Strayhorn. Tout a bien marché, le disque a été bouclé en six heures (1995).
Saxomania a aussi servi de soutien orchestral à quelques solistes : notre saxophone ténor
Nicolas Montier, pour une commande du Japon matérialisée par le recueil «
Lullaby » ; mon ami tromboniste
Jean Osmont, pour son album «
Caravan » paru chez
Black & Blue et
Marlene Ver Planck.
Qui est Marlene Ver Planck ?
Marlene Ver Planck est une chanteuse américaine qui, avec son mari tromboniste et arrangeur Billy, avait travaillé chez
Tommy Dorsey dans les derniers temps de l’orchestre. Je l’avais rencontrée lors d’un brunch à l’hôtel Méridien et elle avait été emballée par le son de
Saxomania, affirmant qu’il n’y avait pas l’équivalent aux U.S.A...
Nous avons enregistré ensemble trois albums arrangés par son mari : «
Meets Saxomania » en 1994, «
Sings Richard Adler » en 1996 et «
All that moonlight » en 1998.
Comment expliques-tu l’arrêt de Saxomania ?
Il y a d’abord le phénomène d’usure évoqué plus haut.
Saxomania a duré une dizaine d’années et certains musiciens avaient envie d’entendre autre chose qu’une
section de saxophones. Ils sont donc partis, le plus souvent pour se consacrer à d’autres projets. Et puis, il faut bien dire qu’il devenait de plus en plus difficile de faire tourner l’orchestre car nous nous étions déjà produits dans la plupart des endroits capables de recevoir une telle formation.
Avais-tu d’autres activités pendant l’époque Saxomania ?
J’ai dirigé le
Cadillac Band, un big band basé à Castelsarrazin. Je venais faire répéter l’orchestre une fois par mois et constituer un répertoire. On utilisait les arrangements du commerce. Nous nous sommes produits six fois en concert. Cest la première fois que je dirigeais un big band et c’est très impressionnant d’être devant seize musiciens.
Avec Swingtime, un quartet que tu as monté en 1993, tu passes à un tout autre format orchestral. Comment ce projet a-t-il pris corps ?
Le pianiste
Jacques Schneck et moi terminions très souvent nos soirées au
Petit Opportun, un club de jazz qui était aussi le rendez-vous nocturne des musiciens.
Bernard Rabaud, le patron, avait été vibraphoniste dans le
Grand Orchestre du Splendid et pianiste dans mon orchestre
Tribute to John Kirby.
Jacques étant grand admirateur de
Teddy Wilson, Bernard de
Lionel Hampton, et moi-même jouant de la clarinette, peu à peu a germé l’idée d’une reconstitution du fameux quartette de
Benny Goodman. À la batterie, nous avons fait appel tout d’abord à
Stan Laferrière («
The Benny Goodman Sound », 1998) et ensuite à
Sylvain Glévarec («
The Liquorice Stick », 2002).
Dans ces deux derniers disques figurent des compositions originales. Depuis quand composes-tu ?
Je m’en souviens très bien : depuis 1997.
Quelle mémoire !
Non, c’est très facile : on m’a demandé un jour de faire une émission de télévision mais la condition était que j’interprète une composition originale. J’ai donc écrit une mélodie que j’ai intitulée Vingt ans déjà, tout simplement parce que j’étais à Paris depuis 1977.
Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Avant je n’en ressentais pas le besoin. Avec
Saxomania, nous étions dans une démarche d’exploration de standards. En fait le travail d’arrangeur préfigure celui de compositeur. Il faut imaginer des riffs, des introductions, des codas : c’est déjà de la création. La démarche m’a intéressé et depuis il y a des originaux dans tous mes disques.
Comment composes-tu ?
C’est variable. Souvent la base d’une mélodie me vient quand je m’exerce au saxo ou à la clarinette, quand je joue (modestement) du piano, ou même parfois dans la rue.
Quelles ont été les suites de l’expérience Saxomania ?
Avec
Saxomania, j’avais exploré les répertoires d’
Ellington, de
Basie et d’
Hampton qui avaient de solides
sections de saxophones. Cela m’a servi par la suite pour finaliser d’autres projets qui aboutiront aux albums «
Ellington Moods », «
Carrots for Hodges », «
Basic Tenors » et «
Hampton Vibrations ».
Parle-moi de ces formations.
L’année 1999 est celle du centenaire de la naissance de
Duke Ellington. Nous avons fêté l’événement avec un enregistrement : «
Ellington Moods ». J’avais invité onze pianistes, à savoir
Claude Bolling, Georges Arvanitas, Patrice Galas, Philippe Baudouin, Stan Laferrière, André Persiani, Henri Renaud, Alain Jean-Marie, Patrice Authier, Aaron Bridgers et
Claude Carrière qui ont amené chacun une de leur composition évoquant l’univers ducal et sur laquelle j’ai greffé mon sextette :
Dominique Vernhes (ts),
Jean Christophe Vilain (tb),
Jean Etève (bs),
Pierre-Yves Sorin (b),
Vincent Cordelette (d).
La même année, avec
Michel Camicas remplaçant
Jean Christophe Vilain,
Claude Braud remplaçant
Dominique Vernhes et avec
Stan Laferrière au piano, nous avons sorti «
Carrots For Hodges » pour lequel j’ai composé l’ensemble des titres en m’imprégnant de l’immense personnalité artistique de
Johnny Hodges.
Pour «
Basic Tenors », où je joue du saxophone ténor avec
Claude Braud (ts),
Philippe Milanta (p),
Pierre Yves Sorin (b) et
Vincent Cordelette (d), je me suis inspiré des duos
Frank Wess -
Frank Foster de chez
Basie. Le répertoire du disque, sorti en 2000, est constitué, à une exception près, Mr le Comte de
Marcel Zanini, de compositions originales écrites par les membres de l’orchestre. En revanche, nous jouions sur scène beaucoup d’orchestrations de
Neal Hefti réduites pour deux ténors.
«
Hampton Vibrations » est une commande du Méridien pour l’animation musicale des brunches du dimanche matin. C’est en quelque sorte une extension du quartette «
Swing Time », avec en plus
Patrick Artero (tp),
Didier Desbois (as),
Dominique Vernhes et
François Penot (ts),
Nicolas Peslier (g), et
Pierre Yves Sorin (b).
J’ai toujours gardé en souvenir les fameuses séances de
Lionel Hampton organisées par
Eli Oberstein pour RCA Victor. L’ambiance y est formidable avec
Hampton qui galvanise ses partenaires en jouant le rôle de pyromane du swing et
Benny Carter qui canalise cette énergie avec ses arrangements.
On y entend l’élite des musiciens de jazz de l’époque. J’ai relevé tous ces arrangements, ce qui a demandé neuf mois de travail. Coïncidence, le disque est sorti en mai 2002, quelques jours avant le décès de
Lionel Hampton.
Travailler avec un ensemble de saxophones t’inspire, si l’on en juge par l’album « Three Tenors Session ».
Sûrement. En 2002,
Jean-Paul Bailay, encore lui, souhaitait engager ma formation
Basic tenors dans son festival de Samois sur Seine. Désirant avoir une tête d’affiche, il m’a proposé d’adjoindre le saxophoniste américain
Teddy Edwards.
J’ai écrit des arrangements sur quelques-unes de ses compositions et sur des standards. Teddy était un homme charmant. Pendant que nous effectuions le trajet de Paris à Samois dans ma voiture, il chantait les paroles des morceaux qu’il venait de composer pour son prochain album. Nous avons répété une heure dans une arrière-salle et sur scène, tout s’est passé très facilement comme chaque fois avec de grands artistes. On a enregistré en studio deux jours après. Mais Teddy était déjà très malade, assez faible, et n’était pas au meilleur de sa forme.
As-tu écrit des arrangements pour le disque de la formation Sweet System ?
Les
Sweet System sont trois femmes (
Martineke Kooïstra, Catherine Nominé et
Gabrielle Godart) qui chantaient le répertoire des
Andrews Sisters, accompagnées par des bandes. Elles désiraient se produire avec des musiciens, et par l’intermédiaire de
Jean Michel Proust, elles rencontrèrent
Dany Doriz qui fit appel à moi pour organiser la musique.
Elles imaginaient elles-mêmes leurs arrangements vocaux et mon travail consistait à écrire pour l’orchestre et à coordonner le tout. Le disque «
Jazz Fever » est sorti en 2004 avec
Dany Doriz (vib),
Marc Fosset (g),
Philippe Duchemin (p),
Patricia Lebeugle (b) et
Didier Dorise (d).
Cette même année, tu as signé l’album « Altology » où tu joues avec Didier Desbois, un autre altiste. As-tu été inspiré par d’autres duos d’altistes comme Phil Woods/Gene Quill, Charlie Mariano/Jerry Dodgion, Phil Woods/Lee Konitz, Sonny Stitt/Art Pepper ? Quelle a été ta démarche?
Il est vrai que je suis un grand fan de
Phil Woods et que j’ai beaucoup écouté ses duos avec
Gene Quill. L’association de deux altos vient peut-être de là mais la démarche est totalement différente. Le répertoire de Phil & Quill était totalement original et be bop, alors que mon idée avec "
Altology" était de reprendre tous les grands succès du saxophone alto dans l’histoire du jazz pour réaliser, en quelque sorte, une anthologie du saxophone alto. La section rythmique est composée de
Philippe Dervieux (p),
Patrice Soler (b) et
Sylvain Glévarec (d).
Tu as dirigé ensuite le Bad Boys Big Band, une formation déjà existante, autour de la musique d’Oliver Nelson. Pourquoi ce choix ?
Oliver Nelson était très en vogue dans les années 1960-1970, mais on ne trouvait alors dans le commerce que quatre ou cinq arrangements que je m’étais procurés et que j’avais analysés. Depuis 2002, une trentaine d’arrangements ont été publiés, donc de quoi bâtir un bon répertoire. Ce qui me plaît chez
Nelson, ce sont les couleurs orchestrales, la combinaison des alliages sonores, la référence au blues et les belles mélodies. C’est une musique qui collait très bien aux qualités du
Bad Boys Big Band monté par
Eric Levrard et
Gilles Relisieux.
Avez-vous prévu de produire un disque ?
Pas dans l’immédiat. Nous n’avons pas assez de concerts qui sont maintenant l’opportunité majeure de vente de disques. On continue à répéter régulièrement à raison d’une fois tous les quinze jours et en 2010, nous attaquerons un programme
Benny Carter.
Dans ton album « City Swing » paru en 2007, tu reviens à la formule du sextette.
Oui, je pense que pour faire sonner une petite formation dans l’esprit swing, une bonne formule est trois cuivres et trois instruments pour la section rythmique. Avec «
City Swing », j’utilise la trompette et le saxophone ténor comme un écrin autour de la clarinette. Le répertoire comprend quelques originaux et des standards de jazz swing. Nous avons aussi des programmes «
Benny Goodman » et «
Duke Ellington ». Les musiciens sont
Gilles Berthenet (tp),
François Penot (ts),
Jacques Schneck (p),
Jean Pierre Rebillard (b), et
Sylvain Glévarec (d).
Comment t'est venu l’idée de Countissimo ?
Je suis un grand amateur de vidéos de jazz et les
Snaders du sextette de
Count Basie en 1950 sont pour moi un sommet : on y entend trois solistes exceptionnels,
Wardell Gray,
Buddy de Franco et
Clark Terry accompagnés par une rythmique insurpassable, plus la chanteuse
Helen Humes.
À partir de là, j’ai écouté les disques enregistrés par cet orchestre en studio. J’ai découvert qu’ils avaient ajouté un
saxophone baryton en la personne de
Serge Chaloff et que les arrangements étaient signés
Neal Hefti, dont je suis un grand fan, et qui écrira plus tard des merveilles quand
Basie reprendra son big band («
Atomic Basie »). J’aime beaucoup le son de cet
octette où la clarinette et le baryton couvrent une très grande tessiture, et décidai de reprendre cette formule assez originale. Me souvenant que
Jon Hendricks, le créateur du fameux trio vocal
Lambert – Hendricks – Ross, avait écrit des paroles sur les compositions de
Neal Hefti et que sa fille Michelle, chanteuse, qui connaît bien ce répertoire et que j’apprécie beaucoup, vit à Paris depuis longtemps, l’idée d’ajouter une partie vocale s’imposa.
D’autre part, j’avais aussi envie de monter quelque chose avec le chanteur
Marc Thomas que je côtoie chez
Bolling et qui est parfait dans le rôle du « crooner-scatter-bluesman » que tenait
Joe Williams chez
Basie. Me voilà donc avec deux chanteurs qui, par chance, s’entendent humainement et musicalement comme larrons en foire. À la différence du trio
Lambert – Hendricks - Ross, Michelle et Marc ne reprennent pas les solos instrumentaux historiques mais improvisent en scattant. Les lyrics de
Jon Hendricks ne sont utilisés que pour l’exposition du thème et les ensembles. On retrouve dans l’octette les mêmes musiciens que pour «
City Swing », plus
Olivier Defays au saxophone baryton et
Nicolas Peslier à la guitare.
Qu’est ce qui te séduit chez Neal Hefti ?
De tous les arrangeurs qui ont travaillé pour
Count Basie après 1950 (
Wilkins, Foster, Jones, Nestico, Byers…), c’est celui que je préfère. Venant des orchestres d’
Harry James et de
Woody Herman, pour lesquels il écrivait des choses bebop assez chargées, il s’est merveilleusement intégré au style Basie qui a ses propres règles bien définies. Il a su créer des mélodies simples, claires, puissantes, parfaitement mémorisables, soutenues par de riches harmonies. Son travail paraît simple, et en fait il ne l’est pas du tout ! Pour moi, c’est ça le grand art. Écrire des choses compliquées, c’est ce que font tous les jeunes arrangeurs. Mais savoir épurer, condenser, simplifier, pour obtenir la quintessence, peu savent le faire. De plus, Neal avait un réel talent pour concevoir des mélodies originales qui ont ce « petit plus » qui accroche l’oreille.
Prenons l’album «
E=MC² » : tous les titres sont devenus des standards joués et rejoués dans le monde entier. C’est quand même la meilleure preuve de qualité.
Tu n’as pas cité Buddy de Franco parmi tes clarinettistes favoris.
Buddy De Franco est un super clarinettiste, sa technique est exceptionnelle. C’est le roi de la
clarinette bebop. Cela ne fait aucun doute. Mais ce qui me gêne dans son jeu, c’est cette sorte de perfection glaciale et ce manque de lyrisme.
Artie Shaw dans les années 1954-1955 joue presque bebop mais avec beaucoup de lyrisme, une vraie chaleur provenant de ses débuts swing : il travaille chaque note, modèle chaque phrase alors que chez Buddy, la note et la phrase sont « droites ». C’est peut-être pour cela que
De Franco n’est pas reconnu comme il devrait l’être.
Une anecdote à son sujet : la dernière fois qu’il est venu jouer à Paris, il s’est produit au défunt club Les Alligators et nous n’étions qu’une dizaine d’auditeurs dans la salle. La semaine suivante, il y eut 3000 personnes pour acclamer la clarinette de Woody Allen à l’Olympia. Cela donne à réfléchir sur ce beau métier de musicien. Il ne suffit pas de bien jouer de son instrument pour attirer la foule.
Django’s Dream met aussi en valeur la clarinette.
Oui, mais dans un tout autre contexte : celui du
jazz manouche. J’ai toujours apprécié
Django Reinhardt, plus spécialement ses disques où figuraient des clarinettistes comme
Maurice Meunier, Hubert Rostaing ou
Gérard Lévêque. Je suis revenu vers ce répertoire que j’avais pratiqué à Toulouse à mes débuts.
Django, comme
Artie Shaw, était très attiré par le jazz moderne mais n’a jamais perdu son lyrisme. Techniquement, c’est très stimulant car tous les guitaristes jouent dans des tonalités assez inhabituelles pour la clarinette, par exemple ré, la ou mi.
Pour l’instant, nous ne jouons que des compositions de
Django avec
Romain Brizemur (g solo),
Luc Desroy (g) et
Enzo Mucci (b).
Tes projets ?
Tout d’abord, finaliser le disque «
Countissimo ». Ensuite, enregistrer avec
Django’s Dream. Un album avec la chanteuse
Gilda Solve autour du répertoire de
Peggy Lee est aussi en préparation. J’en ai écrit les arrangements pour une formation constituée de
Patrice Gallas (p),
Gilles Rea (g),
Jean-Pierre Rebillard (b),
Sylvain Glévarec (dms) et moi-même à la clarinette et au saxophone alto.
J’ai aussi un projet
Artie Shaw dont nous fêterons le centenaire en 2010.
Encore un clarinettiste !
Artie Shaw est moins connu que
Benny Goodman à cause d’une carrière en dents de scie. Il n’est pas très apprécié des amateurs français de jazz classique car il a parfois ajouté à son grand orchestre un ensemble de cordes : sacrilège pour les puristes que nous sommes ! Mais si on écoute attentivement sa partie de clarinette, dans son big band ou encore mieux dans sa petite formation, le
Gramercy Five, on découvre un très grand musicien. Ce qui est d’ailleurs l’avis unanime de ses confrères américains,
Barney Bigard et
Buddy Rich en tête.
Virtuose de l’instrument, sa maîtrise du suraigu est stupéfiante. Ses improvisations sont toujours bien construites et très lyriques, avec une mise en place impeccable. Il sait jouer le blues et les mélodies comme le montre sa version de
Stardust. C’est aussi un grand spécialiste du glissando et du portamente. Il sait ce qu’il doit aux clarinettistes noirs, mais a su incontestablement trouver sa propre voie dans l’ère du swing.
Une question qui mérite débat : comment conçois-tu la mise en valeur d’un répertoire déjà existant ?
Il y a plusieurs possibilités. Soit on est vraiment emballé par la version d’origine et on reprend le même arrangement en laissant toutefois les solos à la liberté de chacun. On peut éventuellement adapter certains paramètres à notre époque : rallonger la durée de l’œuvre (
Tribute to John Kirby, Hampton Vibrations). Soit on part uniquement du thème de base (un standard par exemple) et on crée un nouvel arrangement avec introduction, thème plus ou moins respecté, riffs derrière les solistes, interlude, ensemble final et coda (
Saxomania).
Soit on peut également composer de nouveaux morceaux dans un style correspondant à un certain mouvement ou à un certain musicien : en s’imprégnant du vocabulaire de ce mouvement ou de ce musicien (
The Benny Goodman Sound, Ellington Moods, Carrots for Hodges, Basic Tenors).
Comment te positionnes-tu par rapport au jazz pseudo créatif ?
En ce qui me concerne, le jazz ne se limite pas à des expériences contemporaines. Ce n’est pas une mode où le dernier musicien arrivé est le meilleur comme voudraient nous le faire croire certains critiques en mal de découvertes. Il doit y avoir des explorateurs, certes, mais pas uniquement. Comme dans la musique classique, il existe tout un répertoire d’une grande richesse que l’on peut et que l’on doit mettre en valeur. Une partie de la critique ne fait pas grand cas de ceux qui s’inspirent des maîtres du jazz classique. Ils sont considérés comme ringards et surtout pas créatifs. Mais ces mêmes critiques passent leur temps à écouter et à louer des musiciens qui relisent
John Coltrane qui est mort il y a 42 ans !
Pour moi,
Bechet et
Coltrane, sont chacun des références dans leur propre style. Est-il plus justifié de s’inspirer de l’un que de l’autre ? Tous les deux ont consacré leur vie à la musique. Ils ont modelé leur art auprès des musiciens et du public. Ce sont deux monuments et ce serait ridicule de vouloir faire un classement de valeur. Classique ou moderne, à chacun sa préférence mais tous les deux méritent le respect.
J’estime aussi que l’on peut être créatif dans n’importe quel style de jazz, ancien ou moderne, sans être à l’origine d’une nouvelle direction comme c’était le cas pour
Louis Armstrong, Charlie Parker ou
John Coltrane. Ceux-là, les vrais génies qui ont apporté un langage nouveau, se comptent sur les doigts d’une main, et tout le monde ne peut prétendre à ce titre. Une sorte d’intelligentsia veut que tout le monde soit génial, et ceci dans le cinéma, le théâtre ou la musique. Mais ce n’est pas comme cela que les choses se passent.
Une dernière question : que penses-tu de la situation actuelle du jazz et de son avenir ?
Je suis assez pessimiste en ce qui concerne le
jazz classique. Les gens qui écoutent et connaissent cette musique, c’est-à-dire ceux qui achètent des disques et assistent aux concerts, vieillissent. Comme ce type de jazz ne passe quasiment pas à la radio ou à la télévision et, visiblement, n ‘inspire pas les médias, je ne vois pas comment une relève solide pourrait se constituer, tant au niveau du public que des musiciens. Je tempère tout de même ces propos. Ce qui peut sauver le jazz classique, c’est son côté festif. C’est une musique facile d’accès, qui s’intègre bien à des animations et qui séduira toujours le profane. Pour les autres styles de jazz, la confusion règne entre jazz et musique contemporaine improvisée, jazz et musiques du monde… Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner les affiches des festivals dits « de
jazz ».
Je vois au bout de tout ça, un immense métissage, pourquoi pas ? Mais à force de métissage, on finit par perdre son identité. Enfin, nous verrons.